samedi 25 juin 2011

La montagne de Matoub, par Kader Rabia


La montagne de Matoub*







Pour qui escalade novice la montagne
Il ne cessera de regarder vers le bas
Il lui faut sans relâche qu’il se magne
Afin qu’il ne passe de vie à trépas
Mais Matoub, lui, est né en montagne
Comme tous les mesdurar
Il regarde vers le haut
Juge la densité du brouillard
Prévoit les chutes de glace
Et vérifie la trajectoire prise par les aigles
Pour qui vient de loin et hésite
La montagne est danger redoutable
Il se prépare et pense au gite
Tripote, bourre et ajuste son cartable
Fais des plans pour l’éventuelle fuite
Et se réserve aux saisons stables
Mais Matoub, lui, est taillé dans la roche
Fait corps avec les talus
Que fructifie la main cueilleuse
Des olives souriantes
Il monte insoucieux vers les abeilles
Cachées au fond du secret
Et rêve avec les bergers paillards
De conquérir le lointain désert
La montagne reste une énigme
De Tamgut à Tkukt
En passant par l’Ouarsenis
Pour qui, sans prévenir, veut faire le roi
Ce pauvre clone qui ne jure que par les lois
La montagne reste infranchissable
Pour qui ne la respecte pas
Elle reste indéfinie
Pour les apprentis terrassiers
Imposteurs des sigles et de la foi
Mais Matoub, lui, s’en fout
La montagne est sa mère
Elle est la nourrice de ses rêves
Et de sa ribambelle d’enfants incorrigibles
Il dit aux arrivants mrehva
Il dit aux envahisseurs vatta
Et dès que les hyènes donnent du répit
Il retourne à ses mots renouvelés
A sa guitare rafistolée
Pour chanter et faire danser
Pour choyer et rendre éternelle
Sa montagne fraîche et sensuelle
Patiente, mais toujours rebelle.



Kader Rabia,
mars 2011
*MATOUB Lounès , né en janvier 1955, est un poète chanteur kabyle, fervent militant des droits de l'Homme assassiné le 25 juin 1998 à Thala Bounane en rentrant avec sa famille chez lui, à Thawrirth Moussa à Ath Douala. Treize années après, ses assassins courent toujours.

1 commentaire:

  1. "Il dit aux envahisseurs vatta", cela me rappelle sa chanson (une reprise de Slimane Azem) FFeɣ ay ajrad tamurt-iw (Sauterelles, sortez de mon pays !)

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