lundi 4 juillet 2011

Colère du vent, par André Chenet

Jean-Baptiste Camille Corot Coup de vent

 
Colère du vent
 
1
Peuples ensevelis sous les décharges des villes hauturières
kidnappés par les ras de marées médiatiques
peuples de soleils tronqués de paroles truquées
je vous vois inondés de plombs dans l’aile et de sommeil
je vous vois mordre le pain dur des départs avortés
le charbon du temps les fruits éteints de la révolution
je vous vois gratter jusqu’au vertige le tronc de marbre d’un arbre sans espoir
vous vous écorchez contre le fer de votre faim
tandis que des chansons borgnes vous musèlent
et qu’un carré de ciel imprègne de sueurs grises votre peau
2
Les larmes ravalées depuis l’enfance
creusent sous vos pas des sillons noirs qui s’entrecroisent
où viennent s’achever vos rêves d’adolescence
écoutez l’alphabet des frondaisons
le silence perlé des berges
accordez-vous cette chance de suivre
les méandres du vol des rivières
les pas de danse limpides des sources
accordez- vous derrière vos yeux grillagés
les grandes vacances du soleil et de la mer
la résistance des montagnes
ne vacillez plus au bord des culs de bas de fosses
je suis revenu avec les herbes des pâturages
pour vous montrer le doux chemin des lèvres
où coule l’auberge des paroles
je vous soulève avec ma chair avec mon souffle
moi qui ne suis plus tout à fait vivant
moi qui ai traversé la gueule des morsures
les mille visages brisés de l’orage
3
Vos coups de griffes contre les vitres des maisons closes
n’arrangent rien à vos affaires
en étreignant le sexe violet de la nuit
vous vous enracinez dans la peur qui vous oppresse
à la recherche de quelques gouttes de lumière
O mes frères et mes sœurs crucifiés
par la métaphysique des croquemorts et des marchands de faux désirs
peuples désagrégés
dépaysés
à genoux dans vos tanières
peuples ployant sous la charge de l’histoire
peuples désarmés dans les tranchées des années de boue et de braises
peuples éplorés dévastés éparpillés
peuples des plaisirs volés
je vous rassemble dans mes paumes fatiguées
je vous fais naître dans ma voix de canyon où roulent
des meutes de poissons féroces
à petits feux à grandes eaux
je vous respire jusqu’à la mort
4
Le vent des épopées jette ses pluies d’ardoises
ses pluies de poutres traversières
ses pluies d’écume et de tonnerre
le vent fouette le flanc des équipages grossit le ventre des nuages
le vent se passe des cordes au cou
et l’on entend geindre dans les cheminées glacées
une flûte de la cordillère surplombant des forêts tropicales
le vent s’est arrêté avant de tomber sur la matrice du jour
que déchirent goulûment des nuées de goélands
aux becs ensanglantés.

André Chenet

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