vendredi 10 février 2017

Lumière noire de Rimbaud, Par Yann Orveillon
























illustation F.Maaouia



Lumière noire de Rimbaud


Site pliocène de l'Hadar,
dépression de l'Afar,
le long du fleuve Awash,
nord-est de l'Ethiopie.

Elle est au point milieu
de la faille du rift.
Elle est au point focal
où pulsionne l'esprit.
Debout,
elle contemple
la matrice tellurique
d'où elle est née.

Lucie,
nue,
pétrie d'Afrique,
son corps est lumière noire.

Lucy,
symphyse pubienne fracturée,
alors le coquillage
des mains croisées
protège le sexe.

La dramaturgie humaine
est en marche.
Elle regarde intensément
les hauts plateaux.

Sait-elle déjà
a des millions d'années
qu'elle guette
un homme
aux étranges yeux bleus?
Elancé,
farouche, dur et tendre,
on l'appellera
Rimbaud-l'éthiopien
l'homme aux semelles de vent.

Yann Orveillon
1941-2011
Extrait de Elle, ou "LE CORPS ARCHITECTE"
Ed. Les Voleurs de Feu / Al Laerian Tan (2003)
Repris dans" La Voie des Autres, N° 4, Mai 2010

jeudi 9 février 2017

Fermé! par Rezki Rabia : trad. KR























Fermé!

Ses mains sur le piano
Sa tête en vadrouille dans les étoiles
Poème il est devenu
Et elle... une musique

Brulés par le même tison
Qu’eux même ont inventé
Cendres ils sont devenus
Dispersées dans le ciel

Dans le coin du bistrot
Il ne reste que le piano
Dessus, un bout de tissu
Il rêve de doigts qui jouent
On l’entend parfois pleurer
Dans la nuit obscure
N’arrivant guère à oublier
Le duo parti à jamais

Il ne reste plus rien
La porte du bistrot est close
Comme un patelin abandonné
Il deviendra fatalement
Les vents le squatteront
Les chiens pisseront dessus
Son adresse s’effacera
De tous les agendas des amis


C’est quoi au juste un bistrot ?
Une simple demeure
Et c’est quoi un piano ?
Un simple bout de bois
Ainsi diront les sans scrupules
Ils paieront cash
Pour en faire une agence de banque.

Rezki Rabia
Traduit du kabyle par Kader Rabia

mercredi 9 novembre 2016

lundi 8 août 2016

Comme écrit sur les lignes de la main ce plaisir enfantin / Par Kader Rabia



Zone d'ombre de Faouzi Maaouia 2016

(1)

A 7 ans
Un jour de Juillet à Bouzaréah
Avec mes deux pêches dans la poche
J’attends Nadou dans la cour de l’école
Je lui tends la plus grosse des pêches
Elle la prend en mordant sa lèvre inferieure
Nous mangeons les deux fruits jusqu’au bout des noyaux
Eclaboussant les alentours
Et jouant des mains à qui touche l’autre
emportés par une joie
trempée
dans
l’infinie
insouciance.

(2)
A 23 ans
Déambulant à la Casbah
En compagnie de Zhor
J’achète deux pêches aux Souk de la Mosquée des Juifs
Nous descendons vers la pêcherie
dessinant des rêves improbables
en dévorant des yeux l’horizon
Prête pour la bise inaugurale,
Elle cerne comme un peintre mon regard insistant
Et je m’amuse à humer son parfum
Oubliant mon fruit dans la poche

(3)
A 60 ans et plus
Je suis dans ma modeste demeure à Clamart
épluchant mes souvenirs
devant une table bancale
Deux pêches attendent dans une assiette
Prolongeant deux cafés sans sucre
Je les rapproche, attendant la suite
Et la voix de Nani ….
vient interrompre mes pensées vagabondes :
« Chéri, voila le couteau et….
N’oublie pas tes médicaments ! »

Kader Rabia 2016

dimanche 10 avril 2016

Je pourrais.... / Par Lila Boudjema



























Illus.Ed.Steichen, 1921


Je pourrais
la gueule ouverte et
l'estomac affamé le fleuve sauvage...
Te redescendre
Te regarder planter tes nuits
avec un peu de retard.
Je ne sais pas ce que je ne pourrais étreindre chez toi.
Peut-être la monotonie. ...
C'est monotone un homme qui s’efforce de me repousser.
Tu sembles dire embrasse-moi !
tu sembles seulement.
Il fut long le silence de ta chair
Tu connais le front brûlant de mes baisers et
ta tête que je renversais..
s'enfouissait épaissit par nos lèvres escamotées
et j'aimais là où le jour languit,
prendre toutes les rafales contre ma poitrine,
à l’intérieur de la terre, te serrer, parfum de cendre.
Je pourrais te reprendre te rendre fou mais pour l'heure
j'impose
mes humeurs mes discussions muettes lointaines perdues.
Une femme, vois-tu, rejette toutes les absences
regards bras voix peaux rires
Et toutes sont éternelles si tu n'es pas au bout.
Lila Boudjema

mercredi 9 mars 2016

J'ai rencontré Eve et Adam, par Abdelkrim Kassed (trd. Kader Rabia)




J'ai rencontré Eve et Adam

Je n'ai jamais songé qu'en revenant d'Abou L Khassib
(ce paradis oublié de Dieu),
j'allais rencontrer dans un bus Eve et Adam.
Assis exactement à mes côtés, à l'arrière du véhicule.
Elle dans sa 'abaya noire étincelante et lui avec sa koufié blanche pure.

Ils étaient propres
comme s'ils venaient juste de sortir du Hammam

Adam murmure..
Puis baisse le ton
A chaque fois que le bus s'arrête
Mais ses doigts ne cessent de jouer
Et dès que le son du jeu monte
Adam chante
Et Eve rit...
Parcourant de ses doigts la pomme de sa main tel un enfant
C'est alors que je détourne mon regard vers la fenêtre
Comme si je n'avais rien observé rien entendu
Et je me dis :
"Oh Adam
Tu me sembles un peu diabolique"

Il joue, Adam, il joue sa mélodie
Et moi je ris,
en mon fort intérieur, je ris

Et le pauvre transistor
Parle
A haute voix
Avec enthousiasme
Dans le bus à grande vitesse
D'une bataille
Survenue avant les Mille
Au quatrième siècle de l'Hégire

Abdelkrim Kassed
Bassorah, le 20 Janvier 2016
Traduit de l'arabe par Kader Rabia



vendredi 26 février 2016

"Pour toi l'arbre, des fleurs" par Fatima Maaouia

"Arbres" - Faouzi Maaouia

“Pour toi l’arbre, des fleurs...”

Quand l'eucalyptus,
Graines lait pollen Beauté et Liberté
Pleines d'Hannibal
A coulé, scié sous les forces du mal
Quand le lait du fier Itinéraire Lumière
Chevalier, Apôtre du Vert
Être Ancêtre, Saint d’Afrique,
Pour donner
Sans compter
Force, vitalité
Bien être
A toute la contrée
Et en sus
Ce qui ne gâche rien,
A tout le terrain
Un air, mine de rien
De Kahena et d'Ulysse...
A coulé sous le fer
Éclaboussant au passage
Le visage de la terre
Quand Mémoire Émasculée
Le lait...
Du juste et du grand sage
Qu'on pouvait toucher et humer
Qui par une sorte d’héritage
Protégeait, ombrageait
Et embellissait le paysage...
A coulé Égorgé
Sur le trottoir...
De canton en canton
Se remémorant Scipion
Tout Carthage,
Jet brûlé,
A pleuré


Les arbres...
Au lieu de s'occuper d'eux
On les sabre et coupe en deux
L'eucalyptus de Carthage
Saint patron des lieux ?
En passant
On lui doit bien une stèle passion
Comme à un dieu
De telle façon que le passant
Témoin du temps et du carnage
N'oublie pas un instant son sang
En passant

L'eucalyptus de Carthage
Elan Grand
Passionné d'Eole

Et de chants
Malgré le sel et l'abattage
D'âge en âge. ..
Sous écorce
Tout un symbole !
Déraciné de force
Du sol
Même Mort
Grandit encore
Plus, plus
Plus loin que Tunis
Dépasse
L'impasse
De l'oubli,
Fait école
Dans chaque esprit
Surpris
Essaime, fait des petits




Fatima Maaouia
24/02/2016





jeudi 18 février 2016

"Parole de Poète" et "Via salutis" de André Chenet













Parole de poète

Que la poésie ne soit jamais ton métier, ami
Qu'elle t'accompagne, te mûrisse, t'épouse, t'étrangle
Qu'elle te soit étoile du matin, démon, herbages couverts de givre
mésange voletant ou cri de milan
Qu'elle te soit chemin ou monastère ou étreinte
roncier ou chute de reins
Qu'elle te soit du matin au soir et de toutes tes nuits
Qu'elle te soit baiser, idole de ton enfance, souvenir à réparer
Qu'elle te soit l'abîme d'où éclôt ton chant
ou bien ruisseau, simple fleur des champs
Que la poésie ne soit jamais ton métier, ami
couve-là dans le nid de ton univers
Donne-lui de quoi te faire naître
Protège-là car elle est blessée
d'avoir eu à prononcer tant de mots immortels
Chois-là quand tu as envie de l'insulter de la mordre
Ouvre-lui tes veines et ton coeur
Prends sa main de magicienne toi petit crapaud des rues
fais-lui dire combien elle t'aime et toi dis-lui tout
Qu'elle te soit soleil pour la vie.

La Colle s/ Loup, le 17 décembre 2014





Via salutis

"L'étoile de l'éternité
destine sa clarté
à qui peut croire 
et trouver"

Francis Picabia

Je suis ce squelette monotone
qui marche sur la grand' route
par les minuits de pleine lune
ou cet épouvantail de brume
qui cause avec les corbeaux
de la fin de l'automne
un saint François d'Assise debout
dans un taillis profane
un croisé au Coeur de Lyon
souriant au milieu des terres incultes
un saint Louis sans royaume
qui porte son chêne dans sa chair
brigand désabusé qui amuse les enfants
et fait fuir toutes celles qu'il aime
je m'appelle Gueule d'Amour
ou Gaël ou Pinoccio ou Petit Prince
j'ai vécu d'amour et d'eau fraîche
dans la réalité de l'arrière-pays
que je quitte ce soir
pour rejoindre les enchanteurs.


jeudi 4 février 2016

Version kabyle de "Pépin germé dans la boue" de Kader Rabia

Fleur-sur-Mur, défier la vie - Sonia LOUNIS © Tous droits réservés



Aɛeqqa yemɣin deg uɣbir


Si zik i yi-tezdeɣ tẓuri
d waddud n lexyalat
Si zik i saherweɣ tuyat
i tibbuhbelt n yemdanen

Si zik d taqeṭṭiḍt ubiṣar
deg umennuɣ n yimeqranen
si zik d aɛessas 
n yessetma d nnif
si zik s tceṭṭiḍt fessusen
wer aɛewdiw wer aɣrum
Si zik bennuɣ akken d-tusa
tazeqqa n lejdud
Si zik teẓẓuɣ qelɛeɣ 
lebṣel d ibawen
D amwanes n tleqqamt yuɣen
n iɣzer yeswayen tudert
Si zik i yi-tezdeɣ tayri
n usefru d tullas yeǧǧuǧugen
Si zik i meggreɣ
irden n wakal azeggaɣ
d usefru yettinigen
Wer ɛggu
kkateɣ ajewwaq yennuɣnan
slufeɣ i usertu n uzekka
d amedyaz n imeɣban 
n warraw n imeɣban
d nnbi i wumi yettwaru wawal
si zik, 
i lebda,
d axalaf n wakal n lejdud
d aɛeqqa yemɣin deg uɣbir
ɣer tagara sawalen-iyi win i tettun lxir
Iblis yenɛel Rebbi
imi ugiɣ ad buṭiɣ
i yilem d txidas


 Tasuqilt sɣur Sunya Lewnis d Qader Urrabiɛ


Pépins germés dans la boue


Tôt disciple de l’art
Du déplacement des ombres
Tôt souffre-douleur
De la connerie des autres

mardi 2 février 2016

Constat en prose décousue, Par Kader Rabia




Constat en prose décousue/ Kader Rabia


Chaque année, chaque cycle
Je me dis :
Enfin je vais m’occuper de moi-même
Je me retape je me recycle
Et chemin faisant…
De mes tentes dressées le long des tordus parcours
Sortent des chants comme des règles,
Rappels de mes déboires, fiascos de mes détours

Harmonie illusoire
Frêle synchronie de mes pas lourds
Je redeviens l’apollon vissé au sol
A la merci des regards des femmes déçues
Je redeviens l’insoumis sans boussole
Insensible aux rendez-vous perdus
Je redeviens la Putain aveugle
Dont les hommes ne cessent de déchiffrer le langage
Et les tatouages décousus
Je redeviens Léon le Numide
Ex redresseur de torts, de Tlemcen à Rome
Aujourd’hui Lambda visible de Gibraltar à Oslo
Je redeviens Melquiados, attendu dans les chaumières
Et les vergers mal entretenus
Où des enfants ont toute l’année peur et froid
Je redeviens une potion de contrebande
Accessible mais peu rassurante
Je redeviens le sel que j’ai déjà été
Présent à chaque retour de saison
Dans les baluchons des caravanes têtues
Je redeviens le son de la flûte
Demeurée triste depuis la capture de Jughurta
Invariable depuis le règne paisible de Tin Hinan
Comme un rayon de lumière
Posé sur le coin d’un vieux piano
Orphelin, délaissé et poussiéreux



Notes :

*La putain aveugle: poème de B.C.SAYYAB
*Melquiados: personnage de G.G.Marquez




jeudi 28 janvier 2016

Mort ou exil


Fissure dans mur - Sonia LOUNIS © Tous droits réservés

Mort ou exil



Ouvrez bien l’oreille
                                   Mais
                                               Gardez bien l’œil fermé
La folie des Hommes est mer houleuse
Le frère charge le frère
Et la colère des dieux refuse les élus
Cette nuit
Encore
            On annonçait la mort d’un des miens
            Un énième frère qui arrose de son sang
            La folie d'un autre énième frère
Non !
Vous ne rêvez point
C’est bien la faucheuse
                                   Dans son habit de cérémonie
Toutes les portes sont marquées
Elle est passée hier
Repassera tantôt
Aujourd’hui n’est sûrement pas répit
Mais une grasse matinée

Pour réveiller
Les larmes des mères dans la tourmente
Compatir dans la peur
Au veuvage des épouses

Un temps pour
                        S’entamer les soliloques des dépossédés
Le voisin disparu
Le cousin disparu
Le frère disparu
Le père disparu
Le fœtus dans le ventre de sa mère disparu
La vie est un crime aveugle
La mort un salut prémédité
Heureux qui
                        Sans le savoir
                                               Est conduit de vie à trépas
                        Ne comptant les jours
                                               Rêve du lendemain
Le chemin regarde vers l’exil
Marche longue et périlleuse
Brûle sous les pieds, le bitume
Les sentiers s’enroulant autour des cous
Étouffant en l’exilé l’espoir du départ
Chez les miens
                        Un membre est coupé
Comme se coupe
                        Le doigt d’une main
Main toujours fonctionnelle
Handicapée, mais fonctionnelle
Les miens demeurent miens
Le membre en moins
Le sens de la vie à jamais changé
Je ne les ai pas vus pleurer
La douleur leur a refusé cette félicité
Le membre perdu est acte vain
Face sombre du rideau
Perte qui n’a point racheté notre liberté

Que l’on m’enterre face contre terre !
Le temps oubliera mon nom
Mon combat
Ma perte

Mon passage
                        Comme un sillon sur la dune
S’effacera à la brise du matin
                                               Passant sur les pas des caravanes
                     
Sonia LOUNIS
28 janvier 2016