Chants du berceau
Jean Amrouche écrivait en introduction à ces chants :
En donnant ces chants berbères au public j'ai le
sentiment de livrer un trésor privé, de me dessaisir
d'un bien de famille. Mais il n'est pas de meilleure
manière de préserver de la destruction une richesse.
Aussi loin que j'essais de remonter le coursde ma vie,
le moindre événement qui affleure à ma mémoire est
accompagné du bercement des chants de mon pays...
Chant 1 :
Bienheureux qui pourrait te suivre,
O lune !
Il prendrait passage sur ton navire,
Il aborderait près du bien-aimé,
Et partagerait son déjeuner.
Bienheureux qui pourrait te suivre,
Étoile !
Il voguerait par le clair de lune,
Il aborderait près du bien-aimé,
Et partagerait avec lui le repas du soir.
*
Chant 2 :
Mes yeux pleurent des fleuves de larmes
Sur la montagne aux chênes zens,
Et sur la source des bûcherons.
Salut ma fille, l'abandonnée;
Qui me dira ce qu'elle est devenue ?
Depuis son départ mes yeux la cherchent.
Je vous dis adieu, ô mes seigneurs,
A vous aussi, monts des Aïth-Irathen :
Dieu tout-puissant est au-dessus de vous.
*
Chant 3 :
Emporté par un vent de révolte
Mon enfant fuyait sur les routes.
Les gendarmes l'ont arrêté.
Compagnon du Soleil-Levant, oiseau,
Fends les cieux de ton vol puissant,
Puis, pose-toi sur son épaule.
Pour lui je souhaite un lit de plumes,
Sous sa tête un oreiller de musc;
Et qu'il s'endorme parmi les parfums.
*
Chant 4 :
Sois-lui clémente, ô ville aux mille tours !
Veille bien sur le nouvel arrivé.
Je t'en prie, nourrie-le, couvre-le,
Fais en sorte que ses jours soient heureux !
Comprends-moi : il est encore petit enfant
Accoutumé à la tendresse des siens.
Extraits de : Jean Amrouche, Chants berbères de Kabylie, Éditions Charlot,
Collection Poésie et Théâtre, sous la direction d'Albert Camus, Alger, 1947
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