mardi 23 août 2011

Saint Claude, par Sonia Lounis


Saint Claude…

Cupidon a percé mon cœur de flèches multiples, au lieu d’y semer l’amour, elles ont implanté l’idolâtrie et la divinisation de l’amour. Je croyais, dans ma naïveté de femme enfant, que le fils d’Aphrodite m’avait rendu le plus grand service jamais reçu ; qu’il m’avait offert le plus merveilleux des présents terrestres. Je n’ai à aucun moment douté qu’il s’agissait d’un cadeau empoisonné. J’étais crédule ou sotte, je ne puis le dire ! Je sais juste que, aussi belle et magique que fut pour moi la fête de la Saint Valentin cette année-là, Saint Claude a tiré un rideau noir sur la mise en scène de ma mythologie des amours. Le pire des sévices fut, non la déception, mais le mensonge.

Je savais depuis le commencement que je n’avais rien à partager avec lui ; je n’ai eu de cesse de prendre conscience de la totale démesure qui nous unissait, seulement, je n’ai pas su lutter contre les élans de mon cœur. Comment pouvais-je lui imposer cette lutte, lui, le priver de chaleur ? Il souffre depuis longtemps d’une fausse convalescence. Pour son rétablissement, j’ai dû payer un fort tribut, je lui ai tout simplement offert ma jeunesse. Je n’avais aucune résistance devant ses caprices, car sa joie de vivre dans cette fausseté était plus grande que toute raison.

Que j’étais naïve ! Et que j’étais sotte ! Mais, qui peut vraiment se flatter d’intelligence en amour ? N’est-ce pas humain que de ne pas aimer avec la tête ? après tout, une chose est sure. Une fois l’amour fini, c’est là que la raison s’installe avec toute sa révérence. Elle dégaine un formidable arsenal de regrets et de « si seulement j’avais… ». Le pire des remords c’est de voir enfin le bon sens de sa propre raison dans l’évidence des choses. J’ai laissé faire des choses atroces, j’ai toléré que ma dignité se bafoue, j’ai accepté le piétinement de ma sensibilité, j’ai fourni le ridicule de mon humiliation, j’ai digéré toutes les insultes comme du bon miel… C’est que j’étais naïve de croire encore dans la sincérité de tout sourire… J’avais oublié que le sourire est la meilleure arme de l’hypocrisie et le plus puissant argument du mensonge.

Dieu du Ciel ! Je suis tombée en appât comme une mouche dans la colle. Me débattre ne fait que pousser la déception au plus profond de moi-même. Je m’enlise comme dans du sable mouvant, la boue m’engloutit en entier et mes appels de détresse ne se font entendre que par mes propres oreilles. L’écho que me renvoient les murs de ma conscience est terrible, j’entends ses reproches nourrir ma déception.

C’est dur, très dur que de vivre boudé par sa propre conscience et partagé avec soi-même. Le plus dur c’est la reconquête de sa conscience. On ne trouve plus à sa résistance de talon d’Achille. Le mal est plus grand dans la vieillesse. C’est que la vieillesse ne sait pas faire cas de ses faiblesses, et encore loin tolérer les erreurs du cœur. Ce n’est sûrement pas sans raison que la morale sociale condamne l’amour à cet âge. C’est immoral d’être amoureux une fois vieux, car c’est tout simplement immoral de se comporter en adolescent. Il est vrai que l’amour rend adolescent à tout âge. Quel malaise de découvrir ainsi son immaturité ! Quelle honte de s’avouer vaincu !

Saint Claude ! Tu n’as jamais reçu ma Saint Valentin avec autant de désarroi. J’avais accordé toute créance à ce nouvel investissement de mon cœur ; contempteur que tu es, Saint Claude, des cagots, tu m’as poussée à retourner sur les lieux de ma crédulité pour cueillir les fruits blets de mon imbécillité. L’espace d’un instant, j’ai cru vivre passionnément, mais je n’ai assisté qu’à l’inanité de tous mes sacrifices. Brusquement, j’ai senti mon cœur immolé sur l’autel des rêves perdus et mon sacrifice prendre un sens éthéré. L’absurde a tout envahi, tout est recouvert de son voile noir et Saint Claude en a été témoin.

Sonia Lounis
avril 2004

1 commentaire:

  1. je ne puis placer un mot de plus que ce que tu as si joliment écris,je me rappelle d'une certaine époque,qu'elle était belle ,furtive,vraie,naive...
    KAHINA

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