Ma rencontre avec un poète
Je
rentrais d'une sortie à Paris. Le Quartier Latin est, comme à l'accoutumée,
grouillant de monde, ce jour-là. Un jour de printemps, un peu gâteux, mais
c'était tout de même un jour de printemps, doux avec quelques buissons de
nuages parsemant son azur. J'aimais flâner dans le quartier, à la quête d'un
livre. Oui un livre. Je ne prédite jamais l'achat d'un livre. Je me rends en
librairie, de préférence celles qui vendent des produits d'occasion, la tête ne
pensant qu'à la trouvaille qui allait surprendre encore ma curiosité. Jamais de
titre, jamais de nom d'auteur en tête, jamais de genre non plus. Seul la
littérature et le vieux papier guidaient mes pas.
Ce
jour-là, donc, n'était pas différent de ses semblables. Je rentrais la tête
ivre d'avoir fouillé les étales et les rayons comme une enfant jetée dans une
chambre remplis de confiseries. Je rentrai, tout heureuse de mon sac rempli. De
ces sacs à fond blanc-rouge et d'écriture noire je peux faire un gros tas.
J'allais prendre le métro, mais le bruit assourdissant des rails m'en dissuada.
J'avais alors décidé de prendre le bus. Je voulais commencer à lire un de ces
livres ou du moins en feuilleter quelques-uns. Je m'étais alors installée à
l'arrière du bus. J'allais descendre au terminus et puis je voulais éviter le
bruit des voyageurs qui montaient et descendaient à chaque station. Du Quartier
latin jusqu'en banlieue, j'avais au moins pour une demi-heure de temps en bus.
J'avais de quoi nourrir mon esprit d'une dizaine de pages ou deux.
Station
par station le bus allait, ma lecture aussi, au bout de trente minutes, nous
étions arrivés. Mon livre me plaisait que je continuais ma lecture en marchant.
Je n'aime pas arrêter ma lecture au milieu d'une page. A quelques mètres du
terminus de mon bus, je prends sur le virage à droite, c'était le jour des
encombrants, un riverain avait sorti deux cartons remplis de livres. Je n'ai
jamais compris comment peut-on jeter ainsi des livres. J'avais rempli deux
sacs, chargée comme une mule, je rentrais chez moi en peinant sous le poids.
J'étais étonnée de trouver trois exemplaires d'un recueil de poésie dans ces
cartons. La personne qui avait jeté ces livres serait-elle l'auteur de ce
recueil ? Un poète peut-il manquer de respect à un livre de la sorte ? J'avais
pris les trois exemplaires plus par respect que par curiosité. Un seul
exemplaire aurait suffi pour la satisfaire. Ne pouvant plus lire en chemin,
ouvrir un de ces recueils était pour moi la chose la plus nécessaire à faire en
arrivant à la maison. A peine donc avais-je tourné la clé dans la serrure, les vers
commençaient à défiler devant mes yeux en dansant une valse merveilleuse.
"La plume brisée". Un titre qui s'annonçait chargé de pessimisme et de désappointement
mais qui, en finale, n'était que havre de paix versifiée.
Passa
une année, "La plume brisée" me suivait partout. Deux déménagements
en moins d'une année, il avait enfin réussi à trouver une place dans ma
bibliothèque.
Un
matin, je me réveillais fatiguée d'avoir travaillé très tard la veille. Je
devais, pourtant, me remettre au travail. Je m'étais installée devant mon
ordinateur, mes livres et mes papiers jonchant sur tous les meubles à surface
plane de mon appartement, mon café. Comme chaque jour, j'ouvrais d'abord ma
messagerie pour consulter mes courriels, ensuite j'allais sur le blog du Baz'Art
Poétique. C'était mon rituel matinal. Le dernier texte publié datait de quatre jours,
je décidais alors d'en publier un nouveau. La plume brisée était sur le bureau.
Depuis quelques jours, mon mari, après avoir lu le recueil, l'avait déposé là.
Tiens ! Me disais-je, pourquoi ne pas publier un des poèmes ? Mais avant, il me
fallait trouver une petite biographie et une photo de l'auteur. Je ne le
connaissais pas et comme, dans le blog, nous observions certaines règles
éditoriales, je m'étais mise sur internet à la recherche d'informations.
Auteur
non répertorié sur Wikipédia. Sur les moteurs de recherche, le nom était associé
plus à ses publications et aux forums de discussion qu'autre chose. J’étais
allée sur l'un de ces forums, j'y avais trouvé, sous le nom, un commentaire
pour une œuvre d'un photographe que je ne connaissais pas non plus. Le seul
moyen de rentrer en contact avec lui, c'était donc de mettre moi-même un
commentaire et de laisser mes coordonnées. Chose faite. Vers le début de l'après-midi,
je consultais une nouvelle fois ma messagerie, ma surprise fut de trouver un
message du photographe. Il m'y avait transmis les coordonnées de mon poète.
-Bonjour,
suis-je bien chez Gilles Palomba ?
A
l'autre bout du fil, une voix poétique me répondit
-Oui
-Je
viens de recevoir vos coordonnées par...
-Oui,
Pierre m'en avait parlé, c'est bien gentille à vous de vouloir ainsi me
joindre. Je suis très touché.
Emu
par ce geste si simple pourtant, Gilles, au fil de notre discussion, faisait
apparaître son âme de poète. Quelle sensibilité, ce poète-là !
-Je
voulais publier un de vos poèmes dans le blog de notre association, je voulais
avoir votre aval.
-Faites
! Faites ! Je suis honoré.
-C'est
moi. Vous savez, je suis tombée sur votre recueil un peu par hasard. Je pensais
d'ailleurs que vous habitiez la banlieue parisienne. Je l'avais ramassé dans la
rue. Trois exemplaires, en plus.
-Mais
c'est formidable. Vous me racontez votre anecdote avec la plume brisée, je suis
ému que vous ayez fait autant pour me retrouver. Vous voyez, je suis dans le
Sud et ce que vous me dites là me surprends. Vous dites trois exemplaires ?
-Oui,
trois. Deux neufs, et un d'occasion. J'avais pensé en les trouvant que c'était vous
ou alors un de vos héritiers qui s’en était débarrassé.
-Non,
non, je suis dans le Sud, je n'ai jamais habité Paris.
-Le
hasard fait bien les choses, comme on dit. J'en suis ravie.
Le
plus surprenant dans toute cette histoire, c'est que ce poète-là a beau être du
XXIe S, la communication technologique n'est pas son fort. Il a fallu qu'un
jour il commentât l'œuvre d'un ami pour que le chemin vers lui se traçât. Je
suis heureuse d'avoir trouvé ce chemin et que la technologie l'ait empêché de
devenir comme une voie romaine.
Sonia Lounis
Paris, juin 2012
Quelle histoire !
RépondreSupprimerJe me sens tout ému, Sonia. Je te félécite pour ta persévérance à retrouver ce poète.
Et grand merci d'avoir partagé cela avec nous tous.
Makhlouf BOUAICH
un grand merci a vous c'est super sympa et touchant ce que vous faite gilles palomba est mon oncle un super poète et un jour ou l'autre on trouvera ces livres a la librairie .je croise les doigts pour lui il le mérite.tant de personne sont passé devant ces livres sans les voir et je suis touché par ce que vous avez fait.merci a vous et bonne continuation .
RépondreSupprimerExcellent chère Sonia.
RépondreSupprimerTes mots sont une résonance, un battement du cœur, un ressenti que tu as écrit magistralement.
Bravo !